Peut-on parler de la mort à un enfant sans invoquer le paradis ? Comment lui inculquer le sens de la justice sans recourir à Dieu ? Ces questions et bien d’autres sont au cœur des préoccupations de parents non croyants partout dans le monde. Et elles risquent de prendre de l’importance au Québec.
Car dès septembre 2008, les cours de morale ou d’enseignement religieux (catholique ou protestant) y céderont leur place au nouveau programme d’éthique et de culture religieuse, obligatoire à tous les niveaux du primaire et du secondaire. Non confessionnel, ce programme permettra de découvrir les croyances, les rites et les principes des principales religions du monde et d’aborder les questions d’éthique hors du cadre d’une religion en particulier.
Car dès septembre 2008, les cours de morale ou d’enseignement religieux (catholique ou protestant) y céderont leur place au nouveau programme d’éthique et de culture religieuse, obligatoire à tous les niveaux du primaire et du secondaire. Non confessionnel, ce programme permettra de découvrir les croyances, les rites et les principes des principales religions du monde et d’aborder les questions d’éthique hors du cadre d’une religion en particulier.
Ces questions revêtent une importance cruciale pour les non-croyants des États-Unis, un des pays les plus religieux du monde. Des dizaines de millions d’Américains croient en effet que la religion constitue la trame du sens moral. Ils sont persuadés que, sans la peur de Dieu qui l’oblige à respecter ses 10 commandements, l’homme passerait sa vie à jalouser et à voler son prochain. Que la morale vient de la religion. Ce qui est faux, disent les non-croyants.
Reste qu’élever un enfant sans religion pose des défis. Docteur en musique, Dale McGowan est pédagogue d’abord et avant tout. Père de trois enfants, il a enseigné pendant 15 ans — la musique, puis l’écriture et la pensée critique — au College of St. Catherine (un établissement catholique !), à Saint Paul, au Minnesota. Non-croyant convaincu, il est également responsable de la section famille du site Internet de l’Atheist Alliance International, un réseau d’athées.
Lorsque son aîné, alors âgé de sept ans, a commencé à poser des questions difficiles — sur la mort, entre autres —, Dale McGowan a cherché des ressources qui pourraient l’aider à donner de bonnes réponses. N’en trouvant pas, il a demandé à des théoriciens — philosophes, sociologues, psychiatres, psychologues — et à des praticiens — parents et éducateurs —, tous non croyants, de réfléchir aux défis que pose l’éducation des enfants sans religion. Pour en faire, bien sûr, des adultes empreints de valeurs morales et soucieux des autres.
Le résultat : Parenting Beyond Belief, un recueil d’une trentaine d’essais dans lesquels sont abordées des questions tant philosophiques (les fondements non religieux de l’éthique) que très pratiques (faut-il parler du père Noël à ses bouts de chou ?). Des discussions sont en cours en vue d’une édition québécoise.
L’actualité a joint Dale McGowan à sa résidence d’Atlanta, au début de septembre.
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Être non-croyant est-il encore perçu comme une tare aux États-Unis ?
— De moins en moins. Les non-croyants sont, sinon plus nombreux, du moins plus en évidence. En 1990, 8 % des Américains se définissaient ainsi ; en 2002, nous en étions à 14 %. Et c’était avant le fiasco de la guerre en Irak, qui fait reculer le fondamentalisme religieux dans la tête et le cœur de beaucoup de gens.
Un récent sondage l’a cependant confirmé une fois de plus : pour un athée, il est toujours rigoureusement impossible d’être élu à quelque niveau que ce soit de l’administration de ce pays. Selon la maison de sondage Gallup, plus de 53 % de mes concitoyens refuseraient de voter pour un athée déclaré. Parce qu’ils croient les athées sans morale et sans éthique. C’est très triste. Mes enfants ont joué tout leur jeune âge avec ceux de ma voisine. Cette catholique fervente, avec qui j’entretiens d’excellents rapports, est tombée de sa chaise en apprenant que je ne suis pas croyant. « Vous êtes pourtant une très bonne personne. Je croyais les athées amoraux et insensibles », m’a-t-elle dit. Je lui ai permis de découvrir que les non-croyants partagent 95 % de ses valeurs. Et qu’ils ne représentent pas une menace.
Enseigner les valeurs morales ou l’éthique n’est donc pas plus difficile en l’absence de Dieu ?
— Il faut comprendre pourquoi l’homme est bon — car, élevé dans des conditions normales, il est essentiellement bon, je crois. L’absence de sens moral est si peu naturelle que les tribunaux la reconnaissent comme un motif de non-responsabilité. La morale et l’éthique sont basées sur deux principes. D’abord, la réciprocité : traitez les autres comme vous voulez qu’ils vous traitent. Puis, un second, avec un nom compliqué — l’universalisabilité —, qui exige qu’on examine chaque comportement humain sous le même angle : qu’arriverait-il si tout le monde agissait comme ça ? Une société d’égoïstes, où chacun vole, triche ou assassine ses ennemis, n’a aucune chance de survivre.
Ces deux éléments sous-tendent les principes moraux et éthiques de toutes les religions et de tous les systèmes philosophiques. La religion n’est qu’une articulation de ces deux règles. Elle n’en est pas la source. Tous les parents du monde disent la même chose à un bambin qui mord son petit frère : « Ne fais pas ça ! Aimerais-tu qu’il te morde ? » Ensuite seulement, les parents croyants vont ajouter que Dieu interdit de nuire à son prochain.
Éduquer un enfant sans religion pose quand même des défis…
— Être un parent athée veut dire élever ses enfants en croyant que la raison est le meilleur outil. Le but premier de l’éducation est de donner aux enfants les moyens de penser par eux-mêmes. En théorie, c’est exaltant. Au quotidien, c’est parfois bien difficile et un peu fatigant. Si l’enfant croit en un dieu omniscient et tout-puissant, tout est plus facile. Un tel dieu n’a pas besoin de justifications, il a automatiquement raison, il est la réponse définitive à toute question. Un parent qui veut imposer ses vues ou sa volonté n’a donc qu’à l’appeler à la rescousse.
Mais moi, pauvre non-croyant, je n’ai pas été créé pour avoir raison. Et ma fille le sait, parce que je le lui ai dit… Car lui apprendre à penser implique de lui donner la permission de contester mon autorité. Si elle me demande pourquoi elle doit aller dormir, je n’ai plus le recours de lui répondre « Parce que » ou « Pour faire plaisir à Jésus ». Il me faut justifier ma décision. Et valider la source de la décision (c’est-à-dire moi). Plus difficile, ça… J’échoue parfois, d’ailleurs. Car il y a des moments où il faut exercer son autorité sans partage. On n’entreprend pas une discussion philosophique avec un bambin qui court vers la rue !
Comment aborder les questions difficiles : la souffrance, la guerre, l’injustice ?
— À mon avis, c’est plus aisé pour moi que pour ma voisine catholique, qui a besoin de bien des contorsions mentales pour expliquer qu’un dieu infiniment bon laisse se produire l’ouragan Katrina ou la guerre du Darfour. Alors qu’un enfant peut comprendre ce qu’est une catastrophe naturelle et qu’une guerre est causée par une différence de point de vue ou par un déséquilibre dans l’accès aux ressources. De plus, s’il n’y a personne assis dans les nuages capable de régler nos problèmes, il faudra bien nous en occuper nous-mêmes. Ce qui impose de s’impliquer dans la collectivité.
Pour beaucoup de gens, la vraie difficulté est d’aborder la question de la mort…
— C’est plus difficile quand les enfants sont très jeunes. Il est alors plus simple de leur dire que grand-maman est au ciel ou que Choupette est heureuse dans le paradis des chiens. Le problème pour les croyants est que, très rapidement, les enfants entendent aussi parler de l’enfer, qui enlève beaucoup d’attrait à l’idée de la vie éternelle.
Ma benjamine, qui aura bientôt six ans, me pose sans cesse des questions à ce sujet depuis la mort de son arrière-grand-père. Où est-il allé ? Est-ce qu’il a de la peine de ne plus la voir ? J’ai utilisé l’image de la musique, qui fait partie de notre quotidien. « Quand un orchestre joue, il y a de la musique, lui ai-je dit. Où va la musique quand l’orchestre se tait ? » Elle m’a répondu que la musique n’allait nulle part, qu’il n’y en avait plus, simplement. Je lui ai dit que nous étions la musique que jouent notre corps, nos neurones. « Quand le corps meurt, on n’est plus là. La musique n’a pas peur parce qu’elle n’est plus là, et elle n’est pas triste non plus. Mais elle reste dans notre tête et dans notre cœur. Comme papi. » Elle était satisfaite.
Bien sûr, ma fille va un jour prendre conscience de sa condition mortelle et en sera terrifiée, comme tout le monde. Nous passons notre vie à nous bagarrer avec l’idée de la mort. Mais les enfants élevés de façon laïque auront moins de mal à faire la paix avec cette réalité. Parce qu’on la leur aura présentée dès le départ comme un phénomène inhérent à la vie même. Ils n’auront pas à jeter par-dessus bord l’illusion de la vie éternelle.
Ils rencontrent des gens qui croient autre chose. Ça pose problème ?
— Je veux que mes enfants sachent et acceptent le fait que les gens croient toutes sortes de choses différentes, qu’ils sachent aussi qu’on a le droit de changer d’idée cent fois. Qu’ils ont le droit d’adhérer à une croyance ou à une théorie qui leur semble juste et sensée. Puis de changer d’idée si nécessaire. Ma fille de quatre ans a dit à son éducatrice qu’elle ne croyait pas en Dieu, mais qu’elle n’avait pas fini de réfléchir à ce sujet. Je l’ai trouvée géniale ! Si les croyants pouvaient en dire autant…
Il y a cependant des avantages à élever ses enfants dans le cadre d’une confession religieuse…
— Bien sûr. Le fait d’appartenir à un groupe organisé, par exemple. Les milieux humanistes, aux États-Unis du moins, sont très pauvres sur ce chapitre. Ils sont pleins d’athées revanchards plus occupés à poursuivre les écoles qui permettent la prière qu’à créer des collectivités dynamiques susceptibles d’attirer les jeunes, de leur faire une place et de célébrer les mille et une raisons qu’il y a de s’émerveiller devant le miracle de la vie et de l’univers.
Les religions offrent aussi une magnifique série de rituels de toutes sortes, qu’elles peaufinent depuis des millénaires… parfois à partir de fêtes païennes. Combien de chrétiens savent que Noël était au départ la grande fête du solstice d’hiver, où les humains célébraient, au plus creux de la saison froide, la chaleur de l’amitié et des groupes humains ? Que Pâques est d’abord et avant tout la résurrection de la nature au printemps ? Je veux célébrer ça aussi !
Des communautés humanistes d’un peu partout dans le monde travaillent à créer ou à recréer des rituels célébrant la naissance, le mariage, la mort, mais aussi l’arrivée du printemps ou encore l’anniversaire de la naissance de Darwin ou de Gandhi. Les Norvégiens, par exemple, ont créé un rituel qu’il vaudrait la peine de faire connaître : ils soulignent le passage à l’âge adulte des adolescents qui terminent leur formation en éthique citoyenne, obligatoire dans leur pays.
Y a-t-il des désavantages à avoir, comme aux États-Unis, un système public d’éducation essentiellement non religieux ?
— Les Américains, même les plus religieux, sont des incultes en matière religieuse. Ils ignorent souvent l’histoire de leur Église, l’évolution de sa philosophie. Sans parler de l’histoire des autres religions. Si on avait mieux connu la culture religieuse, on aurait pu mieux répondre aux attentats du 11 septembre 2001. On entend beaucoup dire que l’islam est une religion de paix. C’est vrai. Mais c’est aussi une religion guerrière. Comme le christianisme. De toute façon, la culture religieuse est toujours bénéfique. Il est plus difficile d’être certain d’avoir raison contre tous quand on comprend que les principes qu’on chérit ont émergé dans toutes les cultures, d’une façon ou d’une autre.
Il ne s’agit pas de convertir. Mais je voudrais que la société américaine réussisse ce que le Canada ou la Grande-Bretagne ont réussi… Pas une société athée, mais une société ouverte, où chacun peut faire ses choix et où la raison est tenue en haute estime.
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