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[Entrevue] Pierre Duchesne : «Le savoir est un bien commun»

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L'édito de Carole Beaulieu - Socrate contre Duchesne ?

Photo : J. Nadeau

Cinq réformes de front ! Pierre Duchesne, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie, a du pain sur la planche. Nouvelle formule de financement, élaboration d’une loi-cadre, révision de l’offre de formation collégiale, aide financière aux études, création du Conseil national des universités : les cinq chantiers lancés au Sommet sur l’enseignement supérieur, il y a un an, sont bel et bien amorcés. Et pourraient métamorphoser le paysage de l’éducation postsecondaire au Québec.

Pour en savoir plus sur les changements qui se dessinent, nous avons rencontré Pierre Duchesne à son bureau de Montréal.

Parmi les cinq grands chantiers enclenchés après le Sommet, lequel obtient votre priorité ?

On est en train d’amorcer toutes ces réformes de front, mais le plus important, c’est d’abord de définir ce qu’est l’université, avec la future loi-cadre. C’est sur cette loi que s’appuieront nos réformes. Aucun texte législatif ne définit aujourd’hui ce qu’est l’université en tant qu’institution : les lois actuelles parlent de mode de financement, d’organisation, d’administration. La loi-cadre va définir les valeurs de l’université : l’autonomie institutionnelle, la liberté de l’enseignement, la collégialité, la coopération, la complémentarité… Car les universités doivent travailler ensemble.

Pour l’instant, elles se livrent plutôt une concurrence effrénée…

Oui, entre autres en raison de la formule de financement selon le nombre d’étudiants, que nous allons modifier. Le financement par tête de pipe a créé des effets pervers, entraînant notamment une concurrence entre les universités, qui font la course aux étudiants. Nous allons donc ajouter de nouveaux critères, afin de définir la façon dont les sommes d’argent seront attribuées.

Quels seront ces nouveaux critères ?

La politique de financement ne sera pas basée sur le béton ou sur de nouveaux immeubles. Nous allons revaloriser l’une des missions importantes de l’université, qui est l’enseignement, en plus de la recherche et du service à la collectivité. La recherche prend parfois tellement de place que certains professeurs sont moins motivés à enseigner. Il faut rétablir l’équilibre.

Justement, comme les professeurs ont été encouragés à faire de la recherche, de 40 % à 60 % des cours sont désormais donnés par des chargés de cours. Comment renverser cette tendance ?

Nous avons annoncé l’embauche de 10 000 professeurs supplémentaires sur une période de sept ans. Le signal est donné ! De leur côté, les professeurs doivent eux aussi agir, sur le plan organisationnel, pour valoriser l’enseignement. Nos rapports avec eux sont toutefois très bons : nous sommes dans le dialogue, pas dans l’autoritarisme.

Plusieurs universités ont ouvert des campus à l’extérieur de leur zone géographique. Quelle est la position du Ministère au sujet de ce développement, qui semble anarchique ?

D’abord, il n’est plus possible d’annoncer la construction d’un nouveau bâtiment ou tout autre projet de plus d’un million de dollars sans passer par le ministre. On ne se lancera pas dans des investissements qui favoriseraient la délocalisation. Avant de créer de nouveaux pavillons, les établissements devront se parler. Il va falloir que certaines installations soient mises en commun. Même chose pour les programmes : on va s’assurer qu’il y aura moins de dédoublements.

Dans certaines universités, on craint le retour des contrats de performance, créés par l’un de vos prédécesseurs, François Legault, et abandonnés en 2003. Envisagez-vous de lier le financement des universités à des cibles précises, comme la hausse du taux de diplomation ou une obligation de résultats ?

Non. Ce qu’on fait actuellement, c’est un réinvestissement de 1,8 milliard de dollars sur sept ans. Le sous-ministre a fait la tournée des 18 universités en 2013, et on est en train de finaliser des ententes avec chacune d’elles sur une base annuelle. La nouvelle formule de financement précisera les choses par la suite : nous attendons des propositions venant des responsables de ce chantier pour le mois de juin.

Ces dernières années, on parle beaucoup de la « marchandisation » de l’éducation, qui tend à considérer le savoir comme un produit destiné à répondre aux besoins du marché et des entreprises. Quel est votre point de vue sur cette question ?

Chose certaine, l’université ne doit pas être absorbée par la logique des grandes entreprises. Ce n’est pas une usine à former des gens ou à fabriquer des diplômes ! C’est une institution totalement autonome, qui aide la nouvelle génération à se forger une pensée critique. Les dirigeants d’entreprises n’utilisent pas beaucoup cette expression, mais au bout du compte, c’est ce qu’ils veulent : des employés qui ont du jugement et sont capables de trouver des solutions, plutôt que de mettre des problèmes en évidence… Tout ça fait partie du sens critique !

L’Université Laval a lancé 10 « chaires de leadership en enseignement », grâce auxquelles les salaires des nouveaux enseignants sont payés à 50 % par une entreprise privée ou une institution publique pendant cinq ans. Est-ce un modèle à suivre ?

[Soupir] D’abord, ce n’est pas au ministre de dicter au recteur de l’Université Laval ses choix quant à ce type d’initiatives. Je m’attends à ce que le conseil d’administration ou l’assemblée universitaire débatte de ces questions. L’entreprise privée, ce n’est pas le grand méchant loup. Elle peut être présente, aider sur le plan de la recherche et de certaines chaires, mais attention ! Le savoir est un bien commun. Aucun groupe d’intérêt, industrie ou entreprise ne peut définir le contenu d’un cours, prioriser une forme d’enseignement ou camoufler une partie du savoir. D’où l’importance d’une loi-cadre pour préciser ces différents principes.

Quels autres grands principes seront établis dans cette loi-cadre ?

Nous allons rappeler l’attachement de l’université au Québec, à sa société de proximité, et donc indirectement à la langue française. Parce que je ne vous cacherai pas que nous sommes plutôt inquiets de la multiplication des cours en anglais dans les universités francophones.

Offrir des cours en anglais est indispensable pour attirer plus d’étudiants internationaux, estiment certaines universités du Québec et d’ailleurs. En France, par exemple, on ne compte plus les cours en anglais dans les écoles de génie, de commerce…

Nous accueillons des étudiants du monde entier, et la demande est telle que les universités doivent faire des choix. Le fait d’avoir des établissements francophones n’est pas un frein à l’accueil des étudiants étrangers, au contraire ! C’est un aspect identitaire particulier qui nous permet à la fois d’offrir un cachet français et une signature nord-américaine.

Comment comptez-vous contrer la multiplication des cours en anglais ?

Avec ma collègue Diane De Courcy, ministre responsable de la Charte de la langue française, nous allons fixer des standards clairs pour que les universités puissent réviser leur politique linguistique — ce qui n’a pas été fait depuis 2004. Les cours en anglais doivent être une exception. Bien sûr, rendu à l’université, un étudiant doit savoir maîtriser plus d’une langue. Mais dans une société francophone, l’enseignement doit se faire en français. Et je m’attends à ce que nos universités soient le fer de lance de la valorisation de la langue française.

On intègre de plus en plus d’étudiants handicapés ou présentant des troubles d’apprentissage au cégep et à l’université. Or, bien des professeurs ne se sentent pas outillés pour les accueillir, certains redoutant même que cela nuise à la qualité de l’enseignement. Que leur répondez-vous ?

Que nous allons les aider à mieux encadrer ces jeunes, avec des ressources supplémentaires. J’ai annoncé en décembre un investissement de cinq millions de dollars pour renforcer les services de soutien aux étudiants ayant des besoins particuliers dans le réseau collégial. Pour nous, leur arrivée au cégep et à l’université est une bonne nouvelle. Les enseignants ont réussi, avec beaucoup d’efforts et malheureusement souvent trop peu de moyens, à leur faire escalader les années du primaire puis du secondaire et à les mener jusqu’à l’enseignement supérieur. Nous allons nous assurer qu’ils puissent y rester.

Vous souhaitez aussi attirer plus d’étudiants de première génération, issus de parents qui n’ont pas fait d’études postsecondaires…

On le sait, dans nos universités, les classes sociales favorisées sont surreprésentées. L’accessibilité de l’université, ce n’est pas qu’une question de salaire. Nous voulons l’élargir à ceux qui n’y pensent même pas, estimant que ce n’est pas pour eux. Dans certains quartiers, certains milieux, il existe un blocage psychologique qui n’a rien à voir avec le talent ou l’intelligence. Pour attirer des étudiants de première génération, on ne donnera pas forcément d’argent supplémentaire. Mais il faudra certainement mieux les encadrer. Avec les efforts nécessaires, on réussira peu à peu à atténuer l’élitisme.

Malgré des droits de scolarité moins élevés et la multiplication des microprogrammes et des points de services, la fréquentation universitaire et la diplomation demeurent au Québec inférieures à la moyenne canadienne. Pourquoi ?

Prenons garde à ces statistiques ! Le Québec a un réseau collégial, qui est un pont entre les niveaux secondaire et universitaire. Si vous incluez les diplômes collégiaux, notre taux de diplomation postsecondaire pour la tranche d’âge de 18 à 28 ans dépasse celui du Canada. Et on dépasse les États-Unis.

Est-il exclu de moduler les droits de scolarité en fonction des programmes ou selon les revenus ?

On a décidé — après une longue crise et après une discussion réunissant tout le monde autour d’une grande table — de faire participer les étudiants au financement de leurs études. C’est fini, le gel ! Il va y avoir une indexation raisonnable et prévisible, basée sur le revenu moyen des ménages. L’année dernière, c’était une augmentation de 2,6 %. De plus, et surtout, cette mesure respecte l’équité entre les générations.

Donc, pas question de revenir là-dessus ?

Je laisse ça à mes amis de l’opposition. Cela dit, je comprends que le Parti libéral ait rejoint notre point de vue : lors de son dernier conseil national, l’automne dernier, il y a eu une proposition en faveur de l’indexation. Ils ont donc fini par comprendre, mais un peu tard ! [Rire]

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